Emile-Antoine Bourdelle
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Les origines montalbanaises
Qui connaît à Montauban, la plaque -grisâtre maintenant- indiquant la maison natale de Bourdelle au 34 rue de l’Hôtel de Ville, située, comme un fait exprès en face du musée Ingres où sont présentées aujourd’hui bon nombre des oeuvres de cet artiste ?
Ses talents précoces le firent remarquer très tôt -dès l’âge de six ans- par son maître, le brave monsieur Rousset qui le laissait tranquillement dessiner au fond de la classe au lieu de le contraindre à suivre ses leçons. Apprenti chez son père, menuisier-ébéniste, à treize ans, il acquiert la maîtrise du métier de sculpteur sur bois. Soutenu par des notables locaux, le banquier Hippolyte Lacaze et l’écrivain Émile Pouvillon, le jeune Bourdelle est encouragé à suivre les cours de l’École des Beaux-Arts de Toulouse.
Des débuts difficiles
Ainsi, à dix-sept ans il quitte sa ville natale pour la capitale languedocienne avec, comme seule ressource, une maigre bourse de la ville de Montauban. Il réalise là ses premiers portraits grâce à ses relations montalbanaises et toulousaines.
Il n’a alors qu’une idée en tête : réussir ses études pour pouvoir passer le concours final qui lui permettra de rejoindre Paris, seule voie d’accès, en ces temps-là, à une véritable carrière de sculpteur. Il y arrive dès 1884, alors qu’il n’a que vingt-trois ans. Heureux mais pauvre, il doit partager une chambre avec son ami carcassonnais, le peintre Achille Laugé, dans un petit hôtel de la rue Bonaparte, à côté de l’École des Beaux-Arts où il suit les cours de Falguière, son compatriote toulousain. Finalement, il trouvera un atelier, dans le quartier Montparnasse, impasse du Maine qu’il occupera jusqu’à sa mort. C’est l’actuel musée Bourdelle. Cependant, ses premières années à Paris sont dures, il connaît la misère et tombe gravement malade. Son pays, sa famille lui manquent. Il propose alors à ses parents de venir s’installer avec lui, dans son atelier, comptant sur la chaleur familiale pour adoucir les désagréments de la vie d’un jeune artiste.
Premiers succès et rencontre de Rodin
Arrivent pourtant les premiers succès, à l’occasion de ses participations au Salon des Artistes Français. Ainsi, La Première Victoire d’Hannibal, aujourd’hui au musée Ingres, lui attire ses premières éloges parisiennes dès 1885 mais c’est en vendant des dessins à la maison d’édition Goupil, auprès de Théo Van Gogh, le frère de Vincent, qu’il gagne sa vie.
Par ailleurs, la période est riche pour Bourdelle de rencontres fécondes comme celle du vieux sculpteur Dalou, son voisin, maître incontesté de la sculpture réaliste. En 1890, il expose ses sculptures mais aussi ses dessins et quelques pastels au Caveau artistique de La Closerie des Lilas à Montparnasse où le sculpteur croise le poète Verlaine et fait la connaissance du rédacteur du Manifeste du Symbolisme, Jean Moréas, dont il demeurera l’ami jusqu’à sa mort en 1911. Enfin, la rencontre avec Rodin, en 1893, est capitale tant sur le plan professionnel : Bourdelle va perfectionner son art au contact de l’un des plus grand maître de la sculpture, que sur le plan matériel : le sculpteur est embauché comme praticien dans les ateliers de Rodin, ce qui lui assure une plus grande régularité de revenus. Au contact du maître de La Porte de l’Enfer, Bourdelle rencontre Camille Claudel, sa compagne, sur laquelle il écrira un jour de 1926, se souvenant de son visage, un poème qui compte parmi les plus belles lignes écrites sur cet artiste. En voici extraits quelques vers :
“ Cette chair de cristal moite de vivre encore
se désombrage aux yeux attesté du soleil […]
Et le marbre émouvant des paupières mi-closes
s’accomplit de rosée au long éclair obscur
Dans le grand regard tiède où s’animent les roses”
C’est à cette époque également que Bourdelle reçoit ses premières commandes de monuments publics : celui érigé à la mémoire du poète Jules Tellier, pour la ville du Havre, celui commandé à Montauban pour Léon Cladel, cet écrivain d’origine tarn-et-garonnaise, surnommé “le rural écarlate”en raison de son engagement en faveur de la Commune. Charles Baudelaire, dont il était l’ami lui préfaça l’un de ses ouvrages. C’est encore à Montauban qu’on commande à Bourdelle, en 1895, le monument aux morts de la guerre de 1870. Le voilà lancé dans une aventure faite de recherches, de doutes, d’hésitations qui va durer plus de six ans, pour aboutir à cet incroyable audace de bronze où soldats et corps emmêlés tournoient autour d’un drapeau déchiqueté. Ce monument, très célèbre aujourd’hui, fut l’objet de nombreuses controverses dues à sa profonde originalité mais il est devenu maintenant un chef d’oeuvre unanimement reconnu que l’on vient voir à Montauban, où il jouxte le musée Ingres.
Le tournant du siècle
Au tournant du siècle, Bourdelle est désormais un sculpteur connu. Il fait sa première exposition personnelle à Paris, en 1905, à la galerie Hébrard, accompagné d’un catalogue préfacé par le grand critique d’art Élie Faure.
Cette première décennie du siècle inaugure une période de grands bouleversements dans la vie du sculpteur qui quitte l’atelier de Rodin, son maître et ami, mettant fin à une collaboration de près de quinze ans. Il épouse en seconde noces, une jeune élève grecque, Cléopâtre Sévastos. Le succès et la curiosité l’amènent à faire des séjours de plus en plus nombreux à l’étranger : Genève, Berlin, Varsovie… Il commence son enseignement à l’Académie de la Grande Chaumière devant des élèves venus du monde entier et atteint la consécration avec la présentation au Salon de ce qui deviendra son oeuvre la plus célèbre, L’Héraklès archer, qui suscite l’enthousiasme du public et de la critique. Le corps du demi-dieu, remarquablement musclé ainsi que son attitude, d’une tension extrême rappellent les recherches expressionnistes de sa période rodinienne. Mais une maîtrise nouvelle de la forme, l’équilibre parfait des pleins et des vides, le dessin simplifié et strict de la tête sont déjà le signe de la mutation profonde opérée dans le style de Bourdelle. Avec cette oeuvre, ce dernier devient l’un des rénovateurs de la sculpture du XX° siècle. Aujourd’hui, cette sculpture est toujours célèbre grâce à la petite image des cahiers d’écolier et aux nombreux exemplaires en bronze qui ornent les plus grands musées du monde. L’un d’eux se trouve à Toulouse, sur une place qui a pris son nom. Sur le plâtre du musée Ingres, on aperçoit distinctement le célèbre monogramme de Bourdelle figurant ses initiales, un A croisé d’un B couché, et non un signe franc-maçonnique ou une étoile juive comme on le croit trop souvent.
Le théâtre des Champs-Élysées
Un peu plus tard, de 1910 à 1913, l’artiste réalise, à Paris, le décor du Théâtre des Champs-Élysées, témoignage éclatant de ses dons de sculpteur-architecte. Il exécute pour cela pas moins de 75 ouvrages parfaitement intégrés à l’architecture, préparés par d’innombrables dessins et aquarelles recouverts de figures dont les mouvements lui furent inspirés par ceux de la danseuse américaine, Isadora Duncan, rencontrée en 1909 au théâtre du Châtelet. Bourdelle voulait donner l’impression que ce soit “… le mur lui-même qui, par endroits désignés en bon ordre, semble vouloir s’émouvoir en figures humaines…”
S’ensuit enfin une période de commandes publiques de plus en plus importantes et nombreuses où Bourdelle développe un style monumental très impressionnant comme dans le Monument du Général Alvear destiné à orner une place publique à Buenos-Aires ou encore celui de Montauban pour les morts de la guerre de 1914-1918 dans lequel une France victorieuse veille, devant un temple, au sommeil éternel de ses héros.
C’est donc en pleine gloire que le sculpteur s’éteignit au Vésinet, après une brève maladie, le 1° octobre 1929, dans la maison de campagne de son ami, le fondeur Eugène Rudier.
Le dessin
Ses dessins et aquarelles ne sont pas la partie la plus connue de son œuvre et pourtant “ils sont la part la plus essentielle de ma vie d’artiste” en disait-il. A ses élèves de la Grande Chaumière, il apprenait que “le dessin n’est pas autre chose que de la sculpture dans tous les sens”. Pratiqué avec passion mais également comme un exercice nécessaire et quotidien pour conserver la maîtrise de son art, le dessin lui servait aussi bien à préparer une sculpture qu’à portraiturer ses proches ou bien encore à coucher sur le papier ses visions d’artiste.
Le musée Bourdelle, à Paris, conserve la plus grande partie de ce fonds graphique mais grâce à la générosité de la famille du sculpteur ainsi qu’à quelques acquisitions judicieuses, le musée de sa ville natale possède près d’une centaine d’œuvres sur papier toutes techniques confondues, pastels, gouaches, aquarelles, crayons et même un très rare fusain… qui permettent de témoigner de la richesse de cette activité chez Bourdelle. Actuellement , les œuvres graphiques du sculpteur ne sont pas exposées dans les salles du musée Ingres Bourdelle.
© Musée Ingres Bourdelle