Ingres et les Modernes
Télécran de La Grande Odalisque
Stéphane LallemandTriptychos Post Historicus
Braco DimitrijevicAfter the Grande Odalisque, Digital Art, Chapter 5 : Analogies
Koya AbeOdalisque after Ingres
Julie AnnLes Femmes du Maroc – La Grande Odalisque
Lalla EssaydiLa Grande Odalisque
Stéphane LallemandLes œuvres rassemblées dans cette collection illustrent le rôle joué par les créations d’Ingres auprès des artistes des XXe et XXIe siècles et montrent, grâce au regard de ses successeurs, le maître de Montauban dans sa complexité et sa plénitude, omniprésent, durable et vivant et cela quelle que soit l’insolence apparente de certains témoignages.
Cette actualité d’Ingres, de grands historiens de l’art ont su très tôt la faire valoir. En effet, le peintre s’adresse plus que jamais aux créateurs d’aujourd’hui, et de bien différentes façons.
Pierre Schneider, à la fin des années 1960, recueillait les avis très contrastés de plusieurs artistes devant les tableaux du maître. Chagall considérait ce dernier « secret, antinaturel, anormal », sa peinture « ouatée […], léchée » et lâchait le mot : « pompier ». Barnett Newman ne voulait voir que le peintre et non le dessinateur : « Ce type-là ne savait pas dessiner […] Ce type-là était un abstrait : l’idée d’utiliser le tableau comme une surface plane […] Kline, De Kooning – aucun de nous n’aurait existé sans lui. » Il jugeait l’Homère « ridicule », mais un détail de Jupiter et Thétis le faisait rêver : « Le pied de Thétis ! L’orteil ressemble à un Arp. » Elena Vieira da Silva, devant Cherubini, réagissait de façon analogue : « c’est affreusement ridicule et pourtant il y a des choses très jolies », amenant, elle, une comparaison avec Fernand Léger. Jean-Paul Riopelle détestait La Vierge à l’hostie – « ce n’est pas lui qui signe Foujita ? » – alors que Pierre Soulages tombait sous le charme de Madame Rivière : « Le tableau a un côté dément, cinglant. C’est une des grandes choses de la peinture. Va dire pourquoi ! ». En 1962, Larry Rivers, le « Pape du pop art », revendique son attachement : J’aime Ingres, aussi. En 2001, Martial Raysse – un des peintres dans l’œuvre duquel le maître de Montauban, et particulièrement sa Grande Odalisque, revient avec le plus d’insistance – va jusqu’à écrire sur un de ses dessins : « Ingres rend fou »
Mais c’est avant tout à travers les œuvres des artistes qu’il faut mesurer ce qu’Ingres a pu leur apporter. Quel meilleur commentaire d’une œuvre d’art qu’une autre œuvre d’art ? C’est ce que propose cette salle, de la façon la plus large, d’une part en faisant appel à de célèbres plasticiens, de Picasso à Dimitrijevic , en passant par Ernest-Pignon-Ernest ou Henri Cueco tout en accordant une place importante à la jeune scène hexagonale – Gaël Davrinche, Pascal Lièvre, Invader, Françoise Pétrovitch – et, d’autre part, à des créateurs méconnus en France mais célébrés dans leur pays, comme l’Américaine d’origine marocaine Lala Essaydi ou le japonais Koya Abe. Par ailleurs, celle-ci rassemble toutes les générations comme les techniques les plus diverses, puisque, outre les champs de la peinture et du dessin, ceux de la sculpture, de la photographie, de la gravure, de la vidéo, de l’installation, du street art et de la performance ont été sollicités.
Cette section voudrait suggérer que le regard sur la postérité du maître de Montauban doit rester curieux, dynamique et, pourquoi pas ? paradoxal : c’est Ingres lui-même qui peut nous inviter à mieux apprécier une œuvre moderne et en même temps celle-ci nous conduit à jeter un coup d’œil insolite sur l’univers de celui dont on a trop vite fait le chantre du classicisme.