Le fonds contemporain
Le fonds contemporain est constitué de plusieurs ensembles qui opèrent une jonction avec le fonds moderne, tout en ouvrant des perspectives sur la création la plus actuelle.
Les années 1970 et 1980 sont notamment représentées par des artistes français qui attestent de la diversité et de la pluralité des positions à l’égard de la modernité avec souvent une forte dimension critique face aux modèles de l’histoire de l’art ou de la diffusion artistique : Robert Filliou, François Morellet, Ange Leccia, BazileBustamante, Présence Panchounette ou Gina Pane.
De plus, les Abattoirs ont choisi de développer leur fonds contemporain selon plusieurs grands axes :
L’organique et le vivant :
L’introduction du vivant et de l’organique dans l’art est un phénomène assez récent. Il correspond à un moment de l’histoire où il s’agit de reconsidérer le statut de l’activité artistique et donc humaine, dans la chaîne du vivant.
L’un des enjeux importants de ce mouvement est de dépasser les concepts d’esthétique et de « beau » tels qu’ils ont été réinventé en Europe au XVIIIe siècle, dans une dichotomie de l’homme et du monde. A l’heure des mutations environnementales ou génétiques, et d’une prise de conscience croissante des effets néfastes de certains de nos comportements sur le vivant, ce questionnement, on ne peut plus contemporain, pointe un enjeu crucial : la nécessité de reconsidérer notre rapport au monde et à l’idée même de nature.
Dans cet ensemble, les œuvres renvoient aux notions de périssable (Michel Blazy), de calibrage et de standardisation (Didier Marcel), d’interaction et de modulation (Max Mohr), ou d’organicité corporelle (Franz West). Leur articulation interroge les développements actuels et futurs de l’activité humaine, mais aussi le rôle de l’art, dans le cycle du vivant et de l’évolution.
Poétiser la ville :
Le paysage et l’habitat urbains tendent à devenir notre seul horizon. La ville absorbe, digère les populations, les énergies et ce qu’il reste des espaces dits « naturels ». Elle se déploie sur des territoires de plus en plus importants et jusque dans nos gènes. Mais la condition urbaine n’est pas seulement physique et territoriale, elle est aussi mentale. D’où l’impérative nécessité d’agir sur les configurations, les conceptions et les représentations que nous avons et que nous nous faisons de la ville. C’est en principe le rôle des urbanistes, des architectes et des politiques. Rarement celui des artistes.
Ceux qui sont associés ici, proposent un autre regard sur la ville. Une autre poétique de ses fonctionnalités (Remy Jacquier, Stéphane Thidet), ou de nos présences (Pierre Bismuth, Bertrand Lamarche). Comme pour déjouer la violence et la brutalité qu’induit trop souvent le phénomène urbain, que ce soit à l’échelle locale ou à l’échelle mondiale des favelas (Pascale Marthine Tayou). Sur le mode du concret ou de l’imaginaire, poétiser la ville, la rue, l’habitat, la mobilité même des êtres dans leurs inscriptions physiques ou psychologiques, revient à ré-humaniser le rapport que le citadin entretient à son cadre de vie individuel ou collectif.
Dimensions cosmiques :
Les questions liées à la place de l’homme dans l’univers, à l’attrait et la fascination que produisent sur lui les confins cosmiques, correspondent à l’une des motivations premières du fait artistique. Ce constat semble être valable à travers les âges, les civilisations et les cultures du monde. Mais aujourd’hui, nos conceptions de l’espace et du temps sont en pleine évolution. En particulier depuis que la sonde télescope Hubble, repousser régulièrement les limites connues de l’univers, à travers les images qu’elle nous renvoie des tréfonds intergalactiques. Si bien que notre conscience du monde et de la place que nous y tenons s’est considérablement dilatée et doit être désormais réenvisagé à l’échelle du cosmos. Ces bouleversements cosmologiques impriment d’ores et déjà nos technologies comme nos consciences. Ils nous engagent aussi à repenser notre présence au monde à travers l’invention de nouvelles modélisations.
C’est à ce redéploiement qu’invitent les œuvres de Basserode, Nicolas Primat, Victoria Klotz ou Angela Bulloch, rassemblées dans ce module sous la forme d’une sorte de ballet cosmique au fort pouvoir d’évocation et de projection.
Hybrides et chimères :
Les chimères, ces êtres fantastiques et hybrides liés à la mythologie, apparaîtraient régulièrement et de préférence à des moments de mutations profondes des sociétés humaines. Dans le langage courant, les chimères sont aussi des illusions ou des projets irréalistes. Aujourd’hui, l’hybride revient sous la forme d’organismes génétiquement modifiés. De même que sous les traits de nouvelles représentations qui surgissent autant de la mémoire de l’étrange que des métamorphoses du monde actuel.
Dans cet ensemble d’œuvres, ces nouvelles chimères résultent de l’exploration de la lisière entre le réel et l’imaginaire, à travers la fantasmagorie (Virginie Loze), la fiction historique et politique (Siobhan Hapaska, Todt), le rêve, ou le mythe (Jan Fabre, Art Orienté objet). Ces artistes nourrissent un axe fort de la collection : celui de l’imaginaire et de ses modalités d’apparition.
L’intérêt pour ces processus recoupe des enjeux actuels cruciaux. Car si le monde est bien ce que l’on en fait, matériellement et physiquement, il reste au préalable déterminé par nos conformations mentales. Dès lors la conscience et l’expérimentation de ces domaines, en vue d’un renouvellement de nos figurations, apparaissent comme autant d’urgentes nécessités.
Art engagé et politique :
Sans céder aux sirènes du catastrophisme, on peut dire que ce début de XXIe siècle restera marqué par des traumatismes importants : conflit israélo-arabe, 11 septembre, dérégulations économiques et climatiques etc. Aujourd’hui plus que jamais, l’engagement de l’artiste ne se limite pas à des enjeux techniques ou esthétiques. Il consiste à réagir en temps et en heure aux événements et aux images d’un monde en pleine transformation. Si bien que l’œuvre d’art contemporain peut traiter, ouvertement et directement, de politique, d’écologie ou de tout autre sujet de société. Elle offre ainsi un contrepoint salutaire face au formatage des médias.
A l’heure de la mondialisation, quel rôle l’artiste et l’œuvre d’art peuvent-ils jouer ? Un rôle fondamental, quasi thérapeutique, si l’on considère que l’un des défis majeurs de nos civilisations consiste à dépasser nos craintes, nos peurs et nos tabous.
C’est bien ce que propose l’ensemble des œuvres constitué autour de ces questions, qui touchent aussi à la culture ou à l’identité des peuples. Comme avec Tania Mouraud au sujet de la Shoah, Olivier Blanckart et la guerre d’Algérie, Michel Aubry ou Lida Abdul avec les conflits Afghans ou avec AES et Marie Denis quant aux guerres de religion modernes. Avec Wang Du et Alain Declercq, le drame du World Trade Center à New York restera une date clef dans la mise en place de cet ensemble qui est aussi à voir comme une collection de tableaux d’histoire contemporaine.
Planète cerveau :
L’exploration de la dimension mentale connaît un regain d’intérêt flagrant dans la création contemporaine. Pour preuve, la recrudescence, ces dernières années, du motif, ou du symbole, du cerveau dans l’art contemporain. Ce phénomène est à l’origine de cette collection dans la collection, qui fait écho aux propos du physicien russe Andrei Linde. Pour lui, en devenant une sorte d’immense cerveau, notre monde s’élargit considérablement si bien que le réel, la conscience et l’illusion sont imbriquées. Dès lors, dit-il, « Comment distinguer ce qui se passe réellement de ce qui est imaginaire, ce qui est conscient de ce qui ne l’est pas ? Peut-être parviendrons-nous à une compréhension profonde de tout cela … ». Ces conceptions philosophiques et scientifiques récentes présument que le travail de la dimension mentale favoriserait une nouvelle fluidité entre l’intérieur et l’extérieur, entre l’individu et son environnement. Ainsi l’une des fonctions cognitives de la représentation mentale, qui est aussi à l’origine de tout acte artistique, serait avant tout le moyen d’assurer la coexistence de l’individu et de ses mondes.
C’est ce que stigmatisent les cerveaux « externalisés » de Jan Fabre, Evru, Claude Lévêque, Mounir Fatmi, Guillaume Pinard, Bruno Peinado, ou Peter Kogler, mis en espace dans un même module.