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Les images de la peste dans la peinture du Siècle d’Or

Depuis la plus haute antiquité les pandémies ont accablé l’humanité de la façon la plus spectaculaire qui soit. L’épidémie de peste en particulier a rempli de terreur la population car elle frappe sans distinction d’âge, de sexe, de condition sociale et elle est quasi sans remède.
L’Allégorie de la peste

L’Allégorie de la peste

Pedro Anastasio Bocanegra
Musée Goya
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Depuis la plus haute antiquité les pandémies ont accablé l’humanité de la façon la plus spectaculaire qui soit. L’épidémie de peste en particulier a rempli de terreur la population car elle frappe sans distinction d’âge, de sexe, de condition sociale et elle est quasi sans remède.

En des temps où la médecine procède d’un savoir plus ou moins empirique, où la démarche scientifique côtoie la superstition et les méthodes les plus fantaisistes, l’explication communément admise était celle du châtiment de Dieu (ou des dieux) en raison des fautes commises que ce soit l’impiété, la luxure, le goût du lucre et tous les plaisirs de l’existence. Ainsi donc les images, relativement rares que nous offre la peinture ancienne vont s’inscrire dans ce procédé mental par le biais de l’allégorie morale édifiante pour le fidèle que l’on invite à la repentance pour ses péchés réels ou supposés. En Espagne, où l’empreinte de l’Eglise catholique s’avère très profonde, nous constatons à travers les témoignages qui nous sont parvenus l’adéquation parfaite avec cette analyse religieuse d’un phénomène incompréhensible quant à son origine véritable (le bacille de la peste ne fut identifié qu’en 1894 par Alexandre Yersin et le japonais Kitasato). Notons au passage que la mise en image de l’épidémie autorise une double finalité : la première d’ordre morale et expiatoire en l’espèce du châtiment divin qui sanctionne la faute et autorise à la fois l’expiation ainsi que le pardon ; la seconde d’ordre intercessionelle car l’Eglise se fait (comme l’oracle antique) le porte-parole du courroux du ciel tout en renforçant par là son pouvoir sur les esprits.

Ainsi donc nous devons comprendre que bon nombre de ces allégories peintes durant le Siècle d’Or ont eu pour commanditaires des religieux ou bien des personnes dont la foi ainsi que les convictions morales épousaient cet état de fait (confréries, Hermandades). Si grande était la crainte de la peste et des épidémies que leur représentation sans équivoque n’allait pas de soi. En effet, nous constatons la présence en nombre plus conséquent d’allégories de la mort ou de la brièveté de la vie plutôt que de scènes tirées d’épisodes réels, lors des grandes pestilences attestées (celle de 1649 à Séville par exemple). Ainsi les deux célèbres compositions de Juan de Valdés Leal (1622-1690) pour l’hôpital de la Charité à Séville, peintes en 1671-72 sont un véritable programme iconographique voulu par Miguel de Mañara, le Prieur de la Hermandad de la Santa Caridad. En un clin d’œil, In ictu oculi, la mort éteint le flambeau de la vie et piétine les vanités humaines représentées par l’amoncellement d’objets symboliques : tiare papale, globe terrestre, couronnes, livres, armes symboles de la gloire militaire.

La seconde composition, Finis Gloriae mundi, nous offre la vision effrayante de cadavres en décomposition dont celui d’un évêque et d’un chevalier de l’Ordre de Calatrava alors que la main du Christ pèse dans la balance les péchés et les bonnes actions selon la maxime « ni plus ni moins » (ni mas ni menos). Cette brièveté de l’existence se retrouve sous diverses formes parfois étonnantes comme chez Pedro de Camprobín dans La mort et le jeune galant (Séville, Hôpital de la Santa Caridad) où sous l’aspect d’un squelette à l’apparence de dame voilée, la mort s’apprête à frapper un jeune homme manifestement trop porté sur les choses de l’amour. L’allusion morale, tout autant que de santé publique, emprunte ici une forme théâtrale ainsi que celle d’une vanité, en raison des objets accumulés au premier plan. Les ravages des maladies vénériennes étaient parfaitement attestés au XVIème et XVIIème siècles et cette image incarne parfaitement celle de l’amour funeste.

Un autre exemple assez surprenant encore est celui d’Ignacio de Ríes (1616 – v. 1661), l’Allégorie de l’Arbre de Vie (cathédrale de Ségovie – 1653). On distingue, juchée sur un arbre, une assemblée de joyeux convives. Le Christ sonne la cloche pour avertir ces pêcheurs tandis que la mort, sous la forme d’un squelette, est sur le point d’abattre l’arbre, aidé dans sa tâche par le diable.

Comme nous pouvons le constater l’aspect symbolique s’avère le moyen le plus prisé par les autorités religieuses et morales afin de stigmatiser les effets spectaculaires de la fin inopinée.

Dans la dévotion populaire on faisait appel le plus souvent à la Vierge, à Saint Sébastien, à Saint Roch, à Saint François ou encore Sainte Rosalie pour combattre les épidémies. Ainsi, bon nombre de représentations de ces personnages saints doivent être rattachées à la dévotion particulière des confréries mais aussi à leur rôle spécifique d’intercesseurs ou de protecteurs. Les ordres mendiants avaient, par essence même, le devoir d’assister les pauvres qui étaient considérés comme l’incarnation du Christ à travers la misère du monde.

Luis Tristan (v. 1595 – 1624) nous a livré ainsi en 1624 un tableau évocateur, La Ronda de pan y huevo (La Tournée du pain et de l’œuf) où l’on met en scène des membres de la Hermandad del Refugio fondée à Madrid en 1615, en train d’assister un jeune homme moribond ainsi qu’un vieillard en leur apportant le réconfort de l’extrême onction pour l’un, manifestement atteint de maladie infectieuse, ainsi que du pain, d’un œuf et d’un verre de vin pour l’autre. Au second plan, une femme malade se fait porter en litière entourée par ses gens de maison. Cette œuvre était placée sous le portique de la paroisse San Román à Tolède. Nul doute que nous avons là des scènes tirées d’une réalité quasi quotidienne.

Lors de la peste de Séville, en 1649-50, les ordres religieux payèrent ainsi un lourd tribut à l’épidémie qui, sur un total de 120 000 habitants, ne laissa que la moitié de la population en vie. Pedro Atanasio Bocanegra (Grenade, 1635 – id. 1688) illustre dans une œuvre datée de 1684, conservée au Musée Goya de Castres, la terrible réalité du mal. Une jeune femme, victime du fléau, gît sur le sol avec l’un de ses deux enfants mort. Le second, abandonné, s’agrippe au corps de sa mère qui montre déjà la décoloration caractéristique d’un cadavre. Outre le fait que Bocanegra, élève d’Alonso Cano, s’est inspiré par la gravure d’une célèbre œuvre de Nicolas Poussin, La Peste d’Asdod, nous distinguons au second plan une série de personnages allégoriques. La Foi, aux yeux bandés, tenant l’Eucharistie, descend du ciel alors que l’Espérance s’enfuit traînant à son pied une ancre. Le Temps, ailé, soutenant le globe terrestre est lui-même entraîné par une femme portant une bourse à la main et qui n’est autre que la Cupidité. Le message demeure sans équivoque : la peste est bien un châtiment divin sanctionnant l’éternelle faiblesse humaine. L’Espérance n’étant d’aucun secours, seule la Foi peut apporter le salut.

Il serait toutefois réducteur de n’envisager l’illustration de la pandémie qu’à travers cette seule approche, destinée à frapper les esprits. Il existe, tout comme les relations écrites, des images plus directes quoique souvent d’une bien moindre qualité esthétique et qui nous laissent deviner l’ampleur de tels désastres.

Un tableau anonyme, conservé à l’Hôpital del Pozo Santo à Séville : La Peste à Séville, nous montre sans fard et sans aucun symbole la terrible épidémie sévillane qui brisa l’essor de la dynamique cité andalouse et où périt le fils du peintre Zurbarán ainsi que le sculpteur Martinez Montañes. La cité est emplie de morts laissés sans sépulture, les uns dans leurs linceuls, d’autres gisant à même le sol, là où le mal les a frappés. Les gens ne s’assemblent que par très petits groupes. Les maisons sont abandonnées ainsi que toutes les activités urbaines hormis les processions ou bien les enterrements. C’est peut-être à travers cette peinture naïve et sans grâce que nous pouvons nous faire une idée la plus précise du désarroi des populations ainsi que des autorités civiles et religieuses

De nos jours les progrès de la science, l’affaiblissement des idées religieuses nous ont fait quelque peu oublier ces épreuves collectives qui, de façon récurrente et imprévisible, anéantissaient des populations entières. Toutefois les idées reçues, elles, ont la vie dure et si la religion n’est plus un recours nous entendons parfois répercuter par les médias d’étranges discours comme ceux d’une juste punition infligée à des communautés fautives de par leur mode de vie ou leurs pratiques sexuelles : on pense à l’évidence au Sida. Comme on le sait, le vecteur de la peste n’est autre que la puce du rat et l’on ne peut être surpris de constater que lors de la peste sévillane, le paroxysme de l’épidémie s’était produit au mois de juin 1649 à la suite d’une montée des eaux du Guadalquivir, qui avait chassé les rongeurs de leurs tanières. Les tanneurs, étant donné leur activité même ayant été moins affectés, on se mit à les suspecter de pratiques sulfureuses. Plus que jamais tout n’est qu’image et discours, on en fait à son gré le meilleur usage ou le pire.

Jean-Louis Augé,
Conservateur en Chef des Musées Goya et Jaurès

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