Ernest Pignon-Ernest

Parti à la recherche de visages et de corps oubliés, de nus endormis ou disparus à Naples … Ernest-Pignon-Ernest a produit de nombreuses feuilles dont certaines, nourris des grandes peintures religieuses d’Ingres, constituent de véritables installations en trois dimensions où plis du papier et superpositions de calques créent le relief, tels le Vœu de Louis XIII, Jésus parmi les docteurs, ou encore le Martyre de Saint Symphorien. D’autres, de format plus modeste mais sur un papier plus épais, ont permis à l’artiste des jeux d’encre d’une grande virtuosité.

Pourquoi conserver ces œuvres au musée Ingres ? N’y a-t-il pas là un paradoxe évident pour cet artiste qui n’a cure des musées et se soucie si peu de la pérennité matérielle de ses dessins?
Plusieurs éléments parlent pourtant en notre faveur : d’abord l’adhésion enthousiaste d’Ernest Pignon-Ernest à notre projet de dialogue avec le maître des lieux, conscient sans doute du rôle fondamental d’Ingres en tant que « moteur de renouvellement pictural » auprès des artistes du XX° siècle, Picasso montrant l’exemple. Ensuite, la passion du dessin qu’éprouvent en commun le niçois et le montalbanais. A cela, il convient d’ajouter le goût évident pour la prise de risque qui caractérise Ernest Pignon-Ernest. Car il y a toujours un danger que de chercher à dialoguer avec un artiste du passé, qui plus est quand on est dessinateur soi-même et que ce maître du passé est l’auteur d’une assertion devenue proverbiale «Le dessin est la probité de l’art ».

Qu’a donc pu lui apporter le génial et dogmatique maître du Bain turc ? Des visions de femmes alanguies, sensuelles et difformes à la fois, une attention sans pareille aux détails, des études de mains ? Plus surement, un amour partagé pour le Quattrocento et la découverte de pratiques communes. Ingres se plaisant à unir dans sa peinture les chevaux de Phidias à ceux de l’omnibus et Pignon-Ernest les postures imaginées par Le Sodoma à celles prises par les danseuses des Ballets de Monte Carlo. Il y a près de vingt ans, cette convergence amenait l’artiste à placer en position centrale de sa composition, pour le Mur du Passage de France à Belfort, la figure de l’Odyssée directement empruntée à l’Apothéose d’Homère d’Ingres. Mais il ne faut pas s’y tromper. Il ne s’agit pas d’un hommage. Quand Ernest Pignon-Ernest s’empare de l’histoire de la peinture c’est pour la questionner, en saisir de l’intérieur le message tout en révélant à ses contemporains son actualité. Ainsi, en reprenant les lignes d’Ingres pour tracer une figure puis en opérant des agrandissements, l’artiste révèle, souligne, exalte l’audace, la difficulté et la beauté d’un trait ou d’une forme, mêlant au travail de la main celui de son œil aguerri de plasticien.
Le questionnement qu’il met en place vient alors compléter et enrichir le discours de l’historien d’art. Si le musée Ingres a tout à gagner à cette confrontation qu’en retire cet « homme aux semelles de vent » ? La suite le dira. Peut-être déjà la contemplation des « ratages » du grand maître, possible à Montauban seulement … En effet, le fonds de dessins d’Ingres conservés dans sa ville natale est arrivé directement depuis son atelier parisien sans tri préalable. Ernest Pignon-Ernest a pu ainsi découvrir, à côté des belles études, de petits dessins de travail pas forcément tous réussis. Révélation rare dans le cas d’un grand maître, instructive et « décomplexante » sans aucun doute.

Ernest Pignon-Ernest vit et travaille à Paris.